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Mal baisé

Voilà un quatrième et dernier article sur le thème de la dérision ou de l’autodérision. J’ai un peu hésité à l’inclure ici car il touche à un moment intime de ma vie et risque d’être jugé inconvenant par certains, à commencer par mon très cher fils qui peut se montrer parfois coincé quand on parle de vie sexuelle. Alors ne lisez pas si vous craignez de vous offusquer.

C’était dans les premières années de ma vie en Suède. Pour parfaire mon suédois, j’avais l’habitude de lire dans cette langue des romans d’Agatha Christie que j’avais souvent déjà lus en français ou en anglais et que j’appréciais pour leur langage plutôt châtié. Tout en lisant, j’avais l’habitude de noter dans un grand carnet des expressions et tournures qui me semblaient intéressantes à retenir.

En théorie, ma connaissance de la langue suédoise était assez bonne mais dans la pratique je rencontrais parfois des problèmes de prononciation. Rien d’étonnant puisque j’apprenais seul dans les livres et que mon oreille ne parvenait pas encore à distinguer certains sons, pas plus que ma bouche n’arrivait à les prononcer.

Ainsi, le jour où commence cette histoire, j’avais eu toutes les peines du monde dans une cafétéria à commander un gâteau pour accompagner mon café. En suédois, un gâteau se dit « kaka », le premier « a » étant une voyelle longue et tirant, selon mon ouïe d’alors, vers le son « o ». Par une sorte de réaction culturelle instinctive, d’autant plus compréhensible qu’il s’agissait de nourriture, je m’étais interdit de commander un « caca » à la française et l’avais remplacé par un « koka ». Et au lieu du gâteau attendu, je m’étais vu servir la boisson phare qui fait pétiller de « joie de vivre » bon nombre de lavés du cerveau de la planète : un Coca-Cola ! Face à l’incompréhension du serveur chaque fois que j’essayais de lui faire entendre mon choix, j’avais fini par montrer du doigt la lointaine vitrine où étaient rangés les gâteaux convoités.

Et puis je m’étais assis à une table avec mon livre d’Agatha Christie et mon carnet de notes. Plutôt que de me placer du côté de la vitrine qui donnait sur la rue, je m’étais installé vers l’intérieur, sur une terrasse de la salle où, en partie dissimulé par une balustrade, je surplombais les gens qui empruntaient le passage menant au comptoir.

J’étais plongé dans ma lecture quand par-dessus la balustrade une tête se hissa à ma hauteur et qu’une douce voix féminine me demanda en suédois : « Qu’est-ce que vous faites ? » Je levai la tête et reconnus une jeune femme qui était assise avec un homme à une table voisine. Je l’avais remarquée au moment de m’asseoir à ma table un peu à cause de sa beauté mais surtout parce qu’elle m’avait dévisagé avec une certaine insistance.

Je n’aime pas être dérangé quand je lis et j’étais sur le point de me montrer désobligeant quand je vis là l’occasion d’apprendre à ne plus me faire servir un Coca-Cola la prochaine fois que je commanderais un gâteau. Je lui répondis donc en pointant ma pâtisserie du doigt que je lui expliquerais ce que je faisais si elle m’aidait à prononcer la formule magique qui permettait d’obtenir un gâteau dans son pays. Après quelques tentatives peu convaincantes, j’abandonnai notre partie de prononciation et expliquai alors brièvement à la jeune femme que j’étais justement en train d’apprendre le suédois en notant des expressions intéressantes rencontrées en cours de lecture. Puis, bien décidé à ne plus me laisser distraire, je replongeai mon nez dans mon livre. Elle n’insista pas et retourna s’asseoir à sa table. Quelque temps après, elle quitta la cafétéria avec son compagnon non sans m’avoir gratifié au passage d’un long regard.

Au bout d’une demi-heure environ, elle refit son apparition dans la cafétéria, seule, et sans rien commander, elle vint directement à ma table. Elle demanda à s’asseoir un instant et, bien que j’aurais préféré continuer ma lecture, j’acceptai. Après tout, un peu de pratique orale de la langue ne pouvait que me faire du bien…

Appelez ça un sixième sens si vous voulez, mais il y a des gens que l’on devine avant même de les connaître. On les perçoit au-delà du langage et l’on sait ou l’on sent des choses sur eux sans qu’ils aient besoin de rien vous dire. C’était le cas face à mon interlocutrice. Et ce que je sentais ne m’enchantait pas vraiment. Je la devinais malheureuse, comme submergée par une misère morale. Après un temps assez court, elle me demanda si on ne pourrait pas s’en aller ailleurs. Et elle allait préciser que ce n’était pas possible chez elle quand je m’entendis dire : « je sais on ne peut pas aller chez vous car vous êtes mariée et avez deux gosses ». Et c’était vrai. Et elle ne comprenait pas comment je le savais. Et moi non plus. C’était comme ça.

Elle a voulu alors que nous allions chez moi. Encore une fois, je n’étais pas trop partant. Même si elle me plaisait et que sa conversation était intéressante, il y avait en elle quelque chose d’indéfinissable qui me gênait. Disons que je ne la sentais pas ou plutôt que je craignais avec elle de m’acheminer tout droit vers des complications. Mais bon, nous pouvions toujours aller chez moi boire un thé bien chaud devant un bon feu de cheminée, histoire d’oublier un temps les rigueurs du froid hivernal. Après tout, un peu de chaleur, ça ne peut faire que du bien…

Ainsi fut fait. Nous prîmes ma voiture car j’habitais en dehors de la ville et, une fois arrivés chez moi, j’allumai un feu de cheminée et fis du thé pour nous deux. Je comptais bien m’en tenir avec elle à une simple conversation amicale. Sauf qu’elle ne l’entendait pas de cette manière et que, tout en me parlant, elle se mit à me passer doucement la main dans les cheveux. Alors arriva ce que je ne voulais pas qu’il arrivât mais qu’en même temps je ne voyais pas de raison valable de refuser. Après tout, les câlins n’ont jamais fait de mal à personne…

Et de caresses en baisers, nous finîmes par nous retrouver au lit. C’est là que les complications commencèrent. Subitement, alors que j’étais sur le point de la pénétrer, ma compagne se ravisa et se mit à émettre des doutes sur le bien-fondé de mon intention. J’étais abasourdi. Je lui rappelai gentiment que je ne lui avais jamais rien demandé. Que c’était elle qui était venue s’asseoir à ma table, que c’était encore elle qui avait voulu venir chez moi et que c’était toujours elle qui avait commencé à me caresser alors que je ne songeais qu’à bavarder. Elle sembla se rendre à l’évidence et nous reprîmes nos ébats là où elle les avait interrompus. L’incident était d’autant plus pénible pour moi que je ne suis jamais très à l’aise la première fois avec une nouvelle partenaire. Peur de ne pas être à la hauteur, peut-être ? C’est toujours un peu comme si c’était ma toute première fois et je me sens plutôt gêné et anxieux. Je fais dans l’éternel puceau et dans l’exercice de haute voltige. Toujours à frôler la panne ou risquer une conclusion trop hâtive. Enfin bon, avec elle les choses se passaient au mieux. J’avais les pleins contrôles et notre coït, juste commencé, allait pouvoir s’éterniser quand soudain voilà ma partenaire qui panique et qui se met à crier « Non, non, arrête, arrête, je n’en peux plus ! » Et de m’éjecter brusquement.

Je ne suis pas d’un naturel violent et n’ai pas pour habitude de frapper les femmes mais je vous assure que la frustration ressentie sur le coup était telle que j’ai bien failli foutre mon poing sur la gueule à cette fille. J’avais la rage. C’est alors que j’ai pensé à toutes les femmes mal baisées de la planète et, intérieurement, je me suis mis à rigoler. Moi, un homme, je savais désormais ce que c’était que d’être mal baisé !

Tag(s) : #De l'autodérision
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