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Illustration de Francis Persu. Voyage imaginaire effectué avec un stylo Harley Davidson qu'on venait de m'offrir. Je n'essaie pas mes stylos comme j'essaie une moto, sauf peut-être pour ce texte où mon stylo, avec les mots pour moteur, m'a entraîné dans un voyage drôle et libérateur.

Illustration de Francis Persu. Voyage imaginaire effectué avec un stylo Harley Davidson qu'on venait de m'offrir. Je n'essaie pas mes stylos comme j'essaie une moto, sauf peut-être pour ce texte où mon stylo, avec les mots pour moteur, m'a entraîné dans un voyage drôle et libérateur.

 

   Quelque part j’ai toujours associé la marque Harley Davidson au grand rêve américain, à cet immense désir de liberté, de tolérance, accordant à chacun le droit de vivre et de s’exprimer à sa guise. Mais je ne me suis jamais trop fait d’illusions quant à mes chances de posséder un jour l’un de ces bolides rutilants et superbes. Trop au-dessus de mes moyens, pensais-je. Eh bien, j’avais tort ! Grâce à la générosité d’un riche neveu d’Afrique qui se prenait pour le père Noël, me voilà, depuis peu, l’heureux propriétaire de l’objet merveilleux si longtemps convoité... un stylo Harley Davidson à cartouche double injection incorporée. Et en version turbo, s’il vous plaît !

   Quand on connaît l’importance d’un stylo qui roule, pardon… d’un style qui coule comme une eau vive et limpide, on ne peut que s’enorgueillir d’une telle puissance de moyens. Rien que de tenir entre mes mains cette bête de race, je sens des frissons qui me glacent l’échine et les trépidations de ma machine qui frissonnent mes doigts. Tiens, on peut dire comme ça ?

   Avec mon Harley Davidson, je démarre au quart de tour, dans une pétarade de mots. Un léger coup de poignet, et c’est tout juste si je ne me retrouve pas projeté derrière mes idées. Le monstre vorace engouffre l’espace d’une page infinie, avec une telle frénésie, une telle célérité, qu’il grise jusqu’au vertige les cellules de mon esprit. Et je crie grâce. Grâce à Harley Davidson, c’est bien fini. Finies les hésitations, les non-dits : un vent de folie envahit ma tête, rafraîchissant sans cesse la source de mes écrits.

   Voilà qui me change de mon vieux stylo à plume perclus, qui faisait des ratés, des pâtés à n’en plus finir et m’obligeait à puiser l’inspiration au fond d’une bouteille d’encre, à grands coups de piston poussif. Aujourd’hui, je ne crains plus rien ni personne avec mon Harley Davidson. Je fonce de pleins en déliés, rap et dérape sur la page, mords d’un esprit frondeur les lignes du papier, faisant fi des limitations de vitesse, des sens interdits, des sens obligés ou giratoires et autres édits prohibitoires annihilant la vie.

   Avec mon Harley Davidson, je suis un chevalier moderne, un chevalier Bayard, paillard, bavard portant sa plume en panache, et embrochant, sans peur et sans reproche, tous les préjugés, les tabous, d’un trait rectificateur et féroce.

   Je copule toutes les règles de l’art, chevauche tous les interdits, toutes les lignes blanches, pour mieux laisser filer ma superbe monture.

Trrrrrrit !!!!!

   Merde, un connard de motard, flic de ma conscience, me vrille les oreilles d’un sifflet vengeur et me prend en chasse avec son minable Parker. Je suis bon pour une contredanse, à moins de le semer, comme on fait des pensées, des soucis et des fleurs, d’un puissant coup d’accélérateur. J’arrête mon bolide en marge de la page, coupe le contact avec le papier et l’attend d’une plume décidée.

   Parvenu à ma hauteur qu’il voudrait surpasser, il me lance un regard furieux de nabab frustré et se penche sur mon papier. Apercevant quelques fautes d’orthographe, il se jette dessus comme un affamé, sort de sa poche son calepin verbalisateur, pourfendeur de verbe créateur, et se met aussi sec à me censurer, à recenser un à un mes excès :

   “Excès de zèle et de vitesse, fautes d’orthographes et de goût, injure à la littérature, conduite hors des sentiers battus, conduite en état d’ivresse ou d’euphorie éthylique, hic !” A cet endroit de son réquisitoire, le malheureux est pris d’un formidable hoquet, face à mon outrecuidance, et manque de s’asphyxier. Une telle démesure le dépasse. Il me jette un regard hagard, le bouffon, le pendard, et me demande d’un ton dubitatif cahotant de hoquet :

— Vous avez votre perm… hic ! d’écrire ?

— Non, lui réponds-je, mais j’ai un port d’arme en règle pour mon Harley. Il est dûment enregistré sous le numéro IBSN 1-875-474 à la Préfecture des polices de caractère.

— Ça ne suffit pas, aboie-t-il, et je me vois dans l’obligation de vous confisquer votre engin. Désolé, c’est le règlement. Vous ne respectez pas l’écriture standard à la norme ISO et quelques mille. Vous êtes énorme, hors norme tout bonnement.

Me confisquer mon stylo ! Comme il y va le salaud ! Je préfère mourir, ou même faire la peau à ce foireux de première qui ose me barrer la route et entraver ma libre expression.

— Allons, veuillez obtempérer, insiste-t-il, en constatant mon mutisme farouche.

— Jamais sans ma plume ! Vous pouvez toujours courir.
Et manière de le narguer, je me mets à chantonner la chanson de Gainsbourg bêlée par BB : “je n’ai besoin de personne, hors Harley Davidson”

— Refus d’obtempérer. Outrage à agent littéraire dans l’exercice de ses fonctions. Ça va vous coûter cher mon Bayard.

   Et il se remet à écrire avec fureur dans son débloc-notes, son minable calepin à faire peur. Je le laisse dérouler ses sornettes tout en continuant à pousser la chansonnette. Parfois, il s’arrête d’écrire et lève la tête au ciel, en quête d’inspiration. Normal, il n’a qu’un pauvre Parker à injonctions !

   Après un temps qui me semble horriblement long, il me tend d’un air goguenard son carnet et me demande d’un ton qui se voudrait supérieur mais qui manque pourtant d’assurance : “Alors, qu’est-ce que vous dites de ça ?” Et il me met sous les yeux le procès-verbal inspiré par sa muse :

“Vous êtes arrêté
Pour conduite en état
D’infériorité mentale.
Défaut de clignotant,
Vos cellules grises
Se font la valise
Et ne fonctionnent plus
Qu’en mode intermittent.
Dans l’intérêt public,
Je me vois contraint
De vous retirer du trafic
Sur le champ. Hic !
(Là, son accès de hoquet lui a fait manquer une rime en “ain”).
Mais sachez-le d’avance,
Vous avez de la chance
Car l’asile d’aliénés
Qui va vous recueillir
Est un asile d’avenir
Appelé à recevoir
Dans les proches années
Le reste du territoire.
Présentez-moi je vous prie
L’ensemble de vos papiers :
Votre permis de vie
Votre droit de penser
Et le certificat d’amour
Dûment enregistré
A la date du jour
De votre fiancée.
Puis veuillez me suivre
Sans faire de résistance
Car vous savez je pense
Qu’en tant que super flic
De votre conscience
Je dois pour le salut public
Vous bâillonner l’esprit
Vous réduire au silence.”

— Bof, rien qu’une poussive poussée de mots, rétorquai-je. Un débordement de décibels mais beaucoup de bruit pour rien. Vous verbalisez, certes, mais votre verbe manque de superbe. Pauvre pisse-copie sans puissance, la cartouche de votre Parker manque de cœur ! La censure est son essence, elle étouffe le moteur. Vous n’irez pas loin comme ça. Et si vous croyez que je vais vous suivre pour des motifs qui ne tiennent pas la route, vous vous fourvoyez complètement. Vous ne m’aurez plus au tournant.Allez, moi je me casse. Je suis dans la vie pour tracer, pour laisser ma trace dans l’infini de l’espace créateur. Et ce n’est pas demain la veille que vous me briderez l’esprit à grands coups de décrets vengeurs.
Le mieux est que nous continuions chacun de notre côté nos rallyes et ratures, vous le censeur au Parker et moi le chevalier au Harley Davidson qui ne craint rien ni personne.

   Et sans attendre de réponse, je le laissai médusé sur place d’un coup de kick moqueur. Qu’il essaie seulement de me suivre pour voir, ce perfide censeur !

   Et je repris ma route en toute assurance, avide d’explorer à ma guise toutes les nuances, les cadences de ma monture fantasque au moteur créateur, d’affronter mes peurs sans casque, à petits bouts de clips, à petits coups de rap, dans les pages et les pages à venir d’un trip de délire et de rire : Easy writer !

Tag(s) : #Fantaisies littéraires
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