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Il n'était pas une fois, ni même autrefois mais bien aujourd'hui sur notre bonne terre...

Il n'était pas une fois, ni même autrefois mais bien aujourd'hui sur notre bonne terre...

Il n’était pas une fois, ni même autrefois, mais bien de nos jours, sur notre bonne terre, il y avait deux enfants qui vivaient librement, au cœur d’une forêt profonde, sans s’être jamais rencontrés. Ces deux enfants, éternellement solitaires, nés je crois des amours d’une feuille et d’un vent qui passait, vagabondaient gaiement par la forêt sans même savoir ce qu’était la solitude. Ils allaient de-ci, de-là, comme au gré d’un rêve, ignorant notre vie moderne et ce monde tout fier et acier, édifié à force de sueur et d’argent par des hommes sans cesse affairés.

Peut-être n’étaient-ils qu’un rêve d’ailleurs, car fort curieusement les deux enfants disparaissaient sitôt qu’un être humain s’aventurait dans la forêt. Mais le plus étrange sans doute, c’est qu’ils n’existaient que le temps de l’aurore. Dès que celle-ci apparaissait pour remplacer une nuit tout engourdie de sommeil, les deux enfants prenaient corps sur la terre et s’ébattaient dans l’immense forêt. Alors, sans se concerter, à des miles et des miles de distance, ils dédiaient à l’aurore un même sourire, aussi radieux que l’éclat d’un diamant. Et les feuilles au bout de leurs branches, toutes scintillantes du manteau glacé de la nuit, leur répondaient par mille feux de lumière.

Après avoir salué de la sorte la nature, l’un des enfants prenait un petit arrosoir, un arrosoir magique qui ne se vidait jamais, et il se mettait à déverser des perles de rosée sur les feuilles et les herbes, et sur tout ce que la terre a créé de verdure au cœur vivant de la forêt.
Qui lui avait confié cette tâche mystérieuse, et dans quel but ? Nul n’aurait pu le dire. Mais il l’accomplissait toujours avec le même enthousiasme, la même ardeur renouvelée. Son bonheur s’avivait de voir un brin d’herbe, une plante, exhaler leur fraîche haleine, ou de sentir chaque fibre de la forêt lui adresser au passage un vibrant merci. L’ivresse qu’il en ressentait était telle, que souvent des larmes de joie frangeaient ses paupières. Comme des perles superbes roulant sur ses joues roses, elles arrosaient les plantes alentours d’une chaude ondée de bonheur, et surpassaient en magnificence l’éclat même de la rosée !

Pendant ce temps, ailleurs dans la forêt, l’autre enfant, tenant en main une coupe, une coupe magique, elle aussi, qui ne débordait jamais, se livrait à une occupation non moins singulière.
Il prenait soin d’abord de débarrasser la nature de toutes les gouttes impures s’épanchant des blessures que l’homme sans cesse inflige à la vie et qui s’étaient déposées un peu partout comme un hideux manteau. Celles-là n’avaient pas l’apparence nacrée de la rosée, et il les reconnaissait toujours au premier coup d’œil, sans se donner la peine de les chercher.
Et ainsi rendait-il à la terre, sans même savoir d’où elles venaient, toutes ses eaux les plus viles, pluies acides ou sources polluées, et d’autres eaux bien plus mystérieuses encore, de l’eau de vie à l’eau de là…

Lorsqu’il avait fini d’épurer la nature et que seules les gouttes de rosée jetaient leurs feux d’éclat, l’enfant ivre de plaisir les recueillait avec précaution dans sa coupe. Mais chaque fois, il était autant surpris que ravi de découvrir des perles aussi belles que celles de la rosée, mais qui laissaient sur le bout de la langue un goût légèrement amer et salé…

Ainsi vivaient éphémèrement les enfants de l’Aurore avant de disparaître à l’approche du jour. Et sans doute seraient-ils restés sans jamais se connaître si les perles de rosée, dont ils prenaient tant de soin, ne leur avaient glissé un jour au creux de l’oreille un conseil qui, venant de leur part, était bien naturel. Car c’est chose bien connue que de tout temps les perles de rosée ont été follement amoureuses des roses. C’est dans leur cœur odorant qu’elles aiment à se nicher au petit matin, et nulle part ailleurs elles ne se savent mieux mises en valeur. Elles conseillèrent donc à chacun des deux enfants d’aller faire un tour aux abords d’une grande clairière, située à la lisière de la forêt.

“ Là-bas, vous trouverez les roses, leur avaient-elles dit et, sait-on jamais… peut-être découvrirez vous bien davantage encore. Les roses ont la réputation d’être de fines fleurs d’amour, à tel point que même les hommes, parfois, s’attendrissent et reconnaissent à leur vue, l’illusion de leur pouvoir et l’étendue de leur faiblesse ” .

Il n’était besoin que de ce discours, pour que la curiosité si naturelle à l’enfance, conduisît les enfants de l’Aurore jusqu’à la clairière aux roses. Quels ne furent pas alors leur stupéfaction et leur ravissement à la vue de ces fleurs majestueuses qu’ils découvraient pour la première fois ! Jamais ils n’avaient rien contemplé de si beau. Des roses ! C’était donc si joli que ça les roses !

Perdus dans leur ravissement, ils ne prirent même pas garde l’un à l’autre. Mais aussi, mettez-vous à leur place. Eux qui n’avaient vu jusque là que de rares fleurs sauvages, comment n’auraient ils pas été éblouis par ces fleurs à la beauté somptueuse et au si capiteux parfum ?

Si grand était leur émerveillement qu’ils demeurèrent longtemps comme enivrés sur place. Puis, le curieux besoin de partager avec autrui le bonheur dont leur âme était pleine les fit peu à peu sortir de leur contemplation. C’est alors que de part et d’autre de la clairière, les deux enfants s’aperçurent. Frappé de surprise, chacun demeurait immobile, dans une posture gauche et timide, et le même air hébété transfigurait leur visage. Ils s’observaient, les yeux écarquillés, et à mesure qu’ils se dévisageaient une même incompréhension envahissait leur regard.

Quel était donc cet être qui se tenait devant lui ? Était-ce un reflet renvoyé par une flaque d’eau ? Mais depuis quand les flaques d’eau se tenaient elles debout ? Et puis, ça n’avait peut-être l’air de rien, mais il y avait aussi ces petites différences d’anatomie qui prouvaient bel et bien qu’un autre être se trouvait en face.

Vivement intrigués, les enfants de l’Aurore firent quelques pas l’un vers l’autre. Quand ils ne furent plus séparés que par une courte distance, ils s’immobilisèrent de nouveau et continuèrent à se regarder en silence. Les yeux ronds, la bouche grande ouverte, chacun contemplait dans le ravissement, cet autre enfant si semblable à lui même, qui le scrutait avec tant de curiosité.
Enfin, s’enhardissant un peu, ils échangèrent un premier sourire, puis un autre, et, comme du cristal chutant en cascade, un rire jaillit soudain de leur poitrine, s’égrena en éclats sur leurs dents et, emportés l’un vers l’autre, tous deux roulèrent et boulèrent dans l’herbe verte, où ils batifolèrent tendrement.

C’est ainsi que se connurent les enfants de l’Aurore, et nulle part ailleurs, même pas dans les contes, on ne vit plus merveilleuse rencontre. Car depuis lors, ils ne se sont jamais plus quittés et vivent un éternel bonheur au sein de la forêt.

Et si par un hasard extraordinaire, il vous arrivait de les rencontrer un jour, à l’heure magique où ils s’occupent de la rosée, vous pourriez alors vous convaincre comme moi, qu’ils s’aiment passionnément, et que, sans jamais se marier, ils resteront toujours les plus beaux et les plus heureux des enfants !

Les enfants de l'aurore
Tag(s) : #Fantaisies littéraires
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