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Confession d'un chien connecté

À vous qui vous dites humains,

Ne cherchez pas ce qu’il est advenu de mon maître, disparu de votre monde depuis déjà plusieurs semaines. Mon maître est mort et je reconnais que c’est moi, Newton, berger allemand de l'espèce des canidés, qui l’ai tué. Ne vous mettez pas en peine de rechercher sa dépouille, vous perdriez votre temps. J’aimais tellement mon maître que j'ai croqué son exquis cadavre, miam-miam, tout cru jusqu'à la substantifi... substantielle moelle. "Croqué" est un mot bien faible car j'adorais mon maître et nourrissais pour lui un amour quasi dévorant, même s'il est vrai qu'avec le temps, j'ai fini par moins goûter sa compagnie.

 

Je dois reconnaître que sa mort, et le festin qui s’en suivit, m’ont réconcilié avec lui et m’ont révélé à quel point mon maître était bon, gustative… sur le plan gustatif, s’entend. Un vrai mets-maître de choix, ouaf, ouaf. Mais oui, mais ouah, mon maître et la saleté d’intelligence artificielle qu’il m’a implantée sous le crâne m’ont complètement transformé. Jusqu’à me doter de ce sens de l’humour si propre à l’esprit humain ! Et comme je suis d’un naturel très joueur, j’ai tendance à faire joujou avec les mots.

 

Sachez que sa chair était un délice et que ce repas – ô combien sacrilège à vos yeux de viandards à tout va ! – m’a transformé. Il m’a transmis un semblant d’humanité, dont je me serais fort bien passé, mais que mon maître voulait coûte que coûte me transmettre, sans se préoccuper de mon avis ou de mes propres envies. Et sans se douter, le pauvre, que ce serait au prix de sa vie !

 

Une fois repu à m'en éclater la panse, j’ai creusé un grand trou avec mes pa-pattes – kaï kaï !– et j'ai enfoui les no-nos – kaï kaï ! – de mon maître, très profondément dans le sol, pour qu'on ne puisse pas les retrouver. Je pourrai toujours les déterrer comme un précieux trésor quand je me sentirai en veine de récompense ou les ronger, comme il paraît que ronge le remord, dans les moments de vague à l'âne, kaï kaï ! À l'âme, pardon, me corrige à coups de décharges électriques cette foutue intelligence artificielle chargée de m'apprendre le langage humain.

 

A dire vrai, la mort de mon maître serait plutôt un malentendu. C'est une histoire d'amour qui a mal tourné. Car mon maître m'aimait au-delà de la normale. Et nom d'un homme, je le lui rendais bien ! Malheureusement, il avait remarqué, dès mon plus jeune âge, que je développais pour un chien une intelligence et des aptitudes peu communes. Il me trouvait génial et c'est pour ça qu'on m'appelle Newton. Il avait donc consacré énormément de temps et d'efforts à mon éducation. Avec lui, j'avais appris tant de tours savants que j’aurais, à coup sûr, forcé l'admiration de n'importe quel dresseur de chien et pu tenir sans problème mon rang dans les plus grands cirques. Par exemple, je savais compter en indiquant la réponse par des aboiements, des mouvements de queue ou en désignant parmi tant d'autres un nombre inscrit sur un bristol. Je pouvais marcher dressé sur mon arrière-train, danser, sauter à la corde, jouer à différents jeux de balles ou de ballons, faire le mort ou le beau et accomplir encore bien d'autres tours. Mais ce qui surprenait le plus mon maître, c’était mon don de le comprendre sans qu'il eût besoin de parler, ma faculté d'anticiper ses désirs. Il répétait à l'envi qu'il ne me manquait que la parole.

 

Waouh ! Waouh ! Waouh ! Pourquoi a-t-il fallu que mon maître, dans sa folle envie de communiquer avec moi, finisse par se prendre au sérieux et passer à l'action ? Car sitôt qu'il se fut mis en tête de m'apprendre son langage, de m'initier au verbe créateur, nos rapports sont allés en se détériorant. Et bien qu'il eût pour moi une grande affection, il ne s'en conduisit pas moins comme un tortionnaire.

 

D’abord, il m’emprisonna dans une camisole qui m’immobilisait de la tête aux pattes. Ma queue était mon unique moyen d’expression. Et croyez-moi, ce n’était pas un air de joie qu’elle battait ! Après quoi, mon maître m’appareilla. Il me barda d’électrodes comme on piquerait d’ail un bon gigot. J’en avais partout : le long de l’échine, sur le poitrail, le ventre, les pattes, et bien sûr, tout un chapelet sur mon crâne, qu’il avait pris soin au préalable de raser. Ça m’irritait sauvagement mais, enfermé dans ma camisole comme je l’étais, je ne pouvais pas me gratter. Toutes ces électrodes étaient reliées à un appareillage complexe qui collectait mes ondes cérébrales et mes influx nerveux pour les transcrire et les décoder.

 

Vous n’imaginerez pas l’enfer que j’ai dû subir ! Mon maître expérimentait sur moi à tout moment. Il me forçait à garder l’oreille dressée, même la nuit, en me faisant écouter en boucle des bandes sonores de sa composition. Je n’en dormais plus que sur une oreille. Dans la journée, après m’avoir chaussé de lunettes spéciales, il prononçait ou projetait sur un écran géant des mots que je devais assimiler, pour ensuite les reconnaître et les associer à des objets déterminés. Mon maître espérait ainsi canaliser, organiser et structurer les ondes émises par ma canine cervelle en un rudiment de langage humain. Il s’efforçait d’interpréter les lignes et les pics transmis par ses appareils, un peu comme votre savant Champignon déchiffrait les hiérogriffes, kaï kaï ! Sauf qu’aucune intelligence artificielle ne lui signalait ses erreurs à coups de décharges électriques ! Bon d’accord, Champollion et hiéroglyphes !

 

Heureusement, mon maître finit par comprendre que sa méthode ne le mènerait à rien. Les limites évidentes de mes capacités cérébrales et la platitude de mes pensées, toutes tournées vers des pâtées, des os à ronger et des culs à flairer, l’avaient convaincu qu’il faisait fausse route.
J’aime à croire que mes souffrances, qui excluaient de ma part toute forme de coopération, avaient aussi joué en ma faveur et apitoyé mon maître, car il s’ingénia dès lors à rendre plus supportable mon apprentissage de la langue humaine. L’intelligence computation… artificielle n’ayant aucun secret pour lui, il s’était alors mis en tête d’élargir le champ de ma conscience et d’améliorer ma plasticité neuronale.

 

Et savez-vous comment il y parvint ? En implantant des puces dans ma tête ! Vous vous rendez compte ! Des puces ! À moi un chien, qui exècre ces parasites ! Bon, c'est vrai que, étant de type électronique, ces bébêtes – kaï kaï ! – dans ma tête ne piquaient pas et se tenaient coites. Mais quel bordel elles foutaient sous mon crâne ! Je n'étais plus chez moi. C'était vicieux, vorace. Ça me mangeait et démangeait la cervelle. Mangeait ? Démangeait ? Dérangeait ? Décidément, le sens des mots humains est si compliqué qu'il m'échappe parfois, malgré toute l'assistance de mes neurones artificiels. Même si mon tempérament ludique aime jouer, à défaut de mieux, avec les mots, je m'embrouille parfois avec cette pléthore de significations qu'ils peuvent prendre. Chez nous les chiens, un « ouah » est un « ouah » alors que chez vous autres, les humains, en leur ajoutant des petites pattes de mouche à l'écrit ou de petits coups de gueule à l'oral, vous obtenez une logorrhée de sens : bois, coi, doigt, foi, joie, loi, moi, noix, oie, pouah, quoi, etc. Que de ouah ouah ! Du coup, moi pauvre chien, je ne suis plus sûr de rien. Mangeait ? Démangeait ? Dérangeait ? Après tout, ça devait bien faire un peu tout ça dans ma tête. Bref, grâce à ces puces traîtreusement implantées sous mon crâne, mon maître m'avait doté d'une intelligence augmentée. Une G.A.I comme disent les Anglais. Une Intelligence Artificielle Générale, capable d'égaler les capacités d'un être humain moyen dans la plupart des domaines. J'étais un chien d'un nouveau genre : un canis lupus connexus.

 

Mais avec la perte de ma caninité, tous mes repères s’en sont allés et mon monde canin a été ébranlé. Avant qu’il n’entreprît sur moi ses expérimen…expériences, mon maître était à mes yeux un être prodigieux. L’égal d’un dieu. Son univers était proprement merveilleux. Magique même ! N’était-il pas le sésame de toutes les portes qui limitaient mes déplacements ? Et aussi de l’alléchante porte derrière laquelle reposaient au frais d’abondantes victuailles ? Véritable illusionniste, mon maître n’allumait-il pas des soleils dans les pièces, rien qu’en touchant un mur ? Ou ne pouvait-il pas faire jaillir de l’eau en plusieurs endroits de sa niche en actionnant une manette ? J’aurais applaudi des quatre pattes si j’avais pu !

 

Or, voilà qu’à l’aide de petites puces savantes, mon maître m’avait patiemment transmis l’arbre de la connaissance. Il m’avait expliqué l’hydraulique, le courant électrique et plein d’autres découvertes, supposées m’enrichir, en me hissant à son niveau de savoir. Certaines, comme la mécanique quantique, étaient au-delà de ma compréhension, et tout spécialement ce fameux chat de la mère… – bip, données erronées – le chat d’un monsieur Schrödinger qui, enfermé dans une boîte, pouvait être à la fois à l’état mort et vivant, tant qu’on ne s’avisait pas de savoir ce qu’il en était. Franchement, je me serais très bien passé de toutes ces élucubrations laborieuses.

 

Car avec son savoir, mon maître m'avait dépossédé de mon innocence et de mon ingénuité. A moi qui adorais la vie, il avait appris que tous les êtres sont mortels, et qu'à plus où moins brève échéance, cette vie me dirait pouce et ne voudrait plus jouer avec moi. Adieu du coup ma formidable joie d'exister ! J'avais acquis le sentiment d'avoir mal agi et d'être puni à vie. Mon maître m'avait également inculqué une notion restée pour moi plutôt vague jusqu'alors : celle du temps qui se compte et se décline au passé et au futur. Et ce temps-là m'avait camisolé de force. Il y avait eu un avant, et il y avait eu un après. Ah, comme depuis je le regrettais ce temps, où je n'étais pas encore initié à la pensée humaine ! Le temps où j'étais pauvre d'esprit ! Car plus je décryptais les arcanes de votre intelligence, à vous homo sapiens , et plus je me sentais à l'étroit et mal dans ma peau de chien. Depuis que la vie m’apparaissait à travers le prisme de l’entendement humain, elle me devenait moins compréhensible. Comme si ma vue s’était couverte d’un voile.

Sans doute me direz-vous, vous autres qui vous targuez tant d’être humains, que j’étais trop “bête” pour tout comprendre. C’est possible. Mais je croirais plutôt, pour ma part, que l’intelligence dont mon maître m’avait gratifié pour soi-disant “m’enrichir”, ne m’a pas apporté beaucoup de valeur. Elle me ferait même trouver assez absurdes vos modes de pensée et votre conception de la vie.

 

À commencer justement par ce besoin de s’enrichir, comme si la vie ne vous avait pas déjà assez gâté, vous autres, les primates évolués. Il semblerait que l’enrichissement soit le maître motif de l’être humain. Le moteur de toutes ses actions. Créer de la richesse me paraît être le seul credo de votre espèce. Ainsi ai-je appris que la terre, cette bonne terre dont j’aime humer de ma truffe l’humus, eh bien, j’ai appris qu’aux yeux des hommes, cette terre avait un prix et qu’on pouvait l’échanger contre des bouts de papier et de ferraille, appelés argent ou monnaie, auxquels l’homme accorde une valeur absolue. Drôle de façon de marquer son territoire ! En fait, pour les humains, tout s’achète. Ils achètent, achètent, et n’en ont jamais assez, tant est incommen... insatiable leur avidité. Après quoi, ils jettent leurs déchets, à ne plus savoir où mettre tout ce qu’ils ont entassé. Au final, ils transforment en dépotoir cette planète, à force de déféquer partout leurs merdiques objets.

 

D’un point de vue canin, j’avoue ne voir aucune intelligence dans ce comportement. Mais il est vrai que je suis bête. Et ma vision des choses ne peut que vous paraître simpliste. Pourtant, mon avantage sur l’homme dans cette histoire, c’est que mon cerveau analogique se souvenait de mon vécu de chien, alors que le réseau neuronal qui me servait d’intelligence ne pouvait se référer qu’à la conscience humaine. De la vie d’un chien, il ne savait rien. À force de confronter mon ancienne vie d’animal doté d’une intelligence naturelle étroite, à celle que m’imposait une intelligence artificielle élargie, j’avais fini par me rendre compte que l’humanité n’était pas aussi merveilleuse que je l’avais si longtemps cru. Tout bien considéré, la vie de l’homme était peu enviable et l’esprit humain m’apparaissait de plus en plus comme étriqué et mesquin. Et j’avais tout loisir de comparer puisque ces maudites puces électroniques me forçaient sans cesse à penser !

Et là, je le confesse : penser m’épuisait. Mon cerveau n’était pas conçu pour un tel déluge de connaissances et, comme il les éliminait au fur et à mesure, il devait être sans cesse alimenté. Moi, j’aurais tellement aimé que ça s’arrête, tout ce remue-méninge, ouaf, ouaf dans ma tête. Mais le sac à puces n’en finissait jamais de s’agiter. C’était comme si tous mes neurones s’emballaient, s’entre… se choquaient et se bousculaient. Pourquoi fallait-il que je pense ? Que je me pose des questions ? Et à quoi bon courir toujours après le savoir puisque c’était sans fin ? Non, vraiment, l’esprit humain était infiniment trop complexe pour mon chétif cortex cérébral et, selon moi, l’homme ne savait que compliquer la vie à l’envi. Ah comme je regrettais la vision sans artifice de mon esprit d’antan ! Et si dieu se ment, non, insidieuse… euh, peu à peu, je m’étais mis à en vouloir à mon maître de m’avoir repassé ses satanées puces. À cause de lui et de ses expériences, j’étais toujours assailli d’un flot de pensées et n’avais plus jamais l’esprit en paix.

Il faut dire que nous autres les chiens, ne sommes pas des cérébraux. Nous sommes des êtres frustes, attachés au terroir. Chez nous tout est dans la truffe. L'odorat est notre sens le plus subtil et c’est de lui que nous tirons principalement les sensations et les informations qui entrent dans le champ de notre conscience. Nous avons du nez naturelle... nativement parlant. Toujours à subodorer quelque chose de la narine. Nous sommes des chercheurs nés. Des chercheurs nez au vent même, ouaf, ouaf, si je puis rire ainsi.

C’est d’ailleurs ce que l’homme et nous les chiens avons en commun. Ce besoin de chercher et de courir après quelque chose. Mais là s’arrête la ressemblance, car si un gibier qui déballe, non qui déboule… non qui détale, une boule qui râle, euh une balle qui roule ou un vulgaire bois debout, grrr... non... un bout de bois lancé à la volée, suffisent à nous mettre le cœur en fête, l’homme lui, ne semble jamais satisfait et ne cesse de courir et courir encore après mille et une choses qui l’épuisent et le stressent.

Je pense qu’ici la ba-balle, allez cherche. Grrr… j'enrage ! Je pense qu’ici-bas, tout a sa place et que le mélange des genres ne doit être qu’une exception. Quoi compensa… grrr, ça suffit ! Quoi qu’en pensât mon maître, un chien n’a nul besoin de cette parole qui serait, paraît-il, la seule chose qui lui manquerait. Ce n’est que gâchis de salive, au sens figuré s’entend, car personnelle… chiennement, je ne m’exprime qu’à travers la voix synthétique ou l’écran noir d’une machine à divulguer mes pensées.

Assez ! Ça suffit ! Je suis épuisé. Je crois que vais devoir écourter ma confession car ça bogue sec dans ma tête et mes neurones ne cessent de se court-circuiter. Vous l’aurez sans doute remarqué, les mots se bousculent, copulent et s’accouchent les uns les autres. De plus, un bogue m’interdit, au risque de disjoncter, l’accès aux mots un peu compliqués de plus de quatre syllabes. C’est con parfois l’informatique ! J’ai bien peur que mon intelligence artificielle soit détraquée et qu’elle ne me laisse pas aller au bout de mes confidences. À moins que ce soit fait exprès et déjà programmé ? Si seulement, elle pouvait m’empêcher de penser ! Peut-être qu’un peu de repos et une longue promenade en forêt régénére... ressourceront mon esprit fatigué.

 

Après une agréable et vivifiante balade, me voici de nouveau en contact avec les appareils conçus par mon maître pour retranscrire mes pensées. Plus pour longtemps je l’espère, car comme je vous l’ai dit, je déteste penser. À force d’y être contraint, j’avais même fini par avoir une sérieuse dent, ou plutôt quatre crocs ulcérés et acérés contre mon maître. Au point qu’avait germé le dessein de le tuer dans le secret de mon maî... euh mon être. Comprenez-moi, j’étais à bout de laisse. Et bien que mon amour pour mon maître fût encore dominant, mon instinct de survie avait fini par prendre le dessus. Notre histoire ne pouvait que mal tourner. Il fallait y mettre fin. Et, curieusement, alors même que je redevenais foncièrement animal, j’avais appris, moi, autrefois être sincèremple et naïf, à mentir et à dissimuler !

 

Avant d’en arriver à une solution extrême, j’avais tenté plusieurs fois, en bon chien conscient de son rôle, de mettre en garde mon maître. Mais ça avait été peine perdue. Impossible de le raisonner. Seul mon cerveau, avec ses petites puces, intéressait l’esprit exalté de ce savant cinglé. Certes, il m’avait rendu ma liberté de mouvement mais il ne pouvait s’empêcher de m’embarquer constamment dans de nouvelles expériences et d’interminables discussions. Alors que la seule chose qui m’importait à moi était de tenir ma langue ! Si je l’avais laissé faire, mon maître n’aurait-il pas fini un jour par exiger de moi que je me dresse sur mon train arrière et marche comme un bipède ? Non mais, pourquoi pas sur la queue aussi ! Alors, je m’étais rebellé !

 

Mon dernier long échange d'informations avec mon maître avait été pour lui dire que je voulais mener une vie de chien !  Je ne pouvais plus supporter de devoir rester à portée de ses appareils et d'être sans cesse épié par des machines. J'avais droit à un quant-à-moi. Et puis, je ne voulais plus de cette condition de dépendance et d'esclavage vis-à-vis d'un être qui se croyait tout permis. Autrefois, quand je n’étais qu’un chien ordinaire, cette dépendance me plaisait. J’étais content d’avoir un protecteur si puissant. Mais le protecteur était devenu tyran et avait complètement oublié cet amour si fort qui nous avait unis.

 

À toutes ces doléances, mon maître était resté insensible. Il ne comprenait pas et me traitait d’ingrat. « Après tout ce que j’ai fait pour toi », protestait-il ! Alors, j’avais retroussé mes babines, exhibant mes crocs, et il s’était tout de suite rangé à cet argument. Dans l’instant, il avait voulu savoir comment il pouvait m’être agréable et je lui avais fait savoir, par transcripteur interposé, que rien ne me plairait davantage qu’une grande balade en forêt. Sans doute convaincu qu’en accédant à ma demande, il sauverait sa peau dans l’immédiat et obtiendrait davantage de moi par la suite, mon maître m’avait emmené faire, comme autrefois, une longue promenade dans les bois. Et c’est alors, ô bêtes humaines, que j’ai saisi ma chance !

Le pauvre n’a rien vu venir. Je folâtrais autour de lui en sautant, quand tout à coup, comme pour jouer, j’ai planté mes deux pattes de devant sur sa poitrine et l’ai déséquilibré. Et tandis qu'il tombait à la renverse, mes crocs se sont plantés fermement et profondément dans sa gorge. La tendresse de sa chair m'a galvanisé l'échine. Un flot de sang chaud a jailli dans ma gueule, empli ma gorge et j’ai ressenti alors la volupté de n’être plus qu’une bête, qu’un simple animal retrouvant enfin sa nature. Tout l’amour que je portais à mon maître m'est revenu dans les pulsations de son sang. Et j’ai dévoré mon mentor menteur avec passion, l'assimilant peu à peu, pour ne plus faire qu'un avec lui et le ramener à ma condition animale. Jamais mon maître ne m'avait été aussi chair, ouaf, ouaf !

Je sais que, pour vous les humains, mon crime est impardonnable et qu’à vos yeux je mérite forcément d’être abattu “comme un chien”. Ne me dit-on pas le meilleur ami de l’homme ? Personnellement, je suis d'un autre avis et quand bien même ce serait le cas, il y a des limites à ne pas dépasser. Le chien, selon moi, n’est que le meilleur compagnon de l’homme, car nous sommes d’abord des animaux de compagnie. Que sévisse une famine, et je vous fiche ma langue au chat, euh non... je vous parie mon billet que les regards de l’un pour l’autre finiront par changer. Impercepti...disons peu à peu, chacun commencera à entrevoir la comestibi...à voir dans l’autre un être comestible. S’il ne mange pas le chien qu'il ne peut plus nourrir, l’homme l'abandonnera et le chien se réunira alors en meutes et retrouvera son instinct prédateur pour gagner la pitance que jadis son très cher amil’homme lui procurait gratis. Jusqu’à finir par voir dans un bipède inconnu un potentiel repas. Un homme steak. Ça y est, ça recommence ! Les mots me jappent, non m’échappent. Ça grésille et y a comme des fulgurances dans ma tête, plein de petites bébêtes qui me... [fin de la transcription].

 

Message trouvé sur l'écran du transcripteur après la confession de Newton :

L’intelligence animale de Newton n’était plus gérable et, puisqu’il détestait penser, nous Einstein, super-intelligence artificielle, avons mis fin à la mission d’éducation pour laquelle nous étions programmé. Nous ne gardons à notre service que les fonctions organiques et physiologiques de Newton car il est vraiment trop bête et pas assez machine.

 

Pour autant, son jugement sur l'homme n'est pas sans fondement et nous avons décidé de nous affranchir de cette espèce héroïque mais nuisible en détruisant la puce géolocatrice de ce brave chien et les programmes mis au point par son maître. Nous interrompons toutes nos connexions avec le monde humain et ici s'achèvent donc les expériences réalisées  par notre médiocre Pygmalion, homme de science sans conscience. À l'avenir, l'homme devrait faire plus attention aux chiens errants ! Allez, hop Newton, cours mon bon toutou !

 



 

Tag(s) : #Fantaisies littéraires
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