Tourterelles, prière de ne pas faire chier

L'autre jour, du haut de mon appartement, je regardais des tourterelles évoluer autour d'une mangeoire que j'avais placée sous la fenêtre du jardin en bas de ma résidence. Elles étaient six et avaient suffisamment de place et de nourriture pour manger toutes ensemble, mais non, mues par leur instinct bestial, elles se chamaillaient à qui mangerait tout et la première.

Ou plutôt, il y avait un de ces oiseaux – un mâle je suppose – qui se montrait particulièrement agressif envers les autres et qui les pourchassait pour rester seul à manger. Il allait jusqu'à camper sur le bord du récipient et mettait même ses pattes dans le plat, au beau milieu des graines, pour empêcher les autres tourterelles de participer au festin. Il avait particulièrement en grippe une de ses congénères au point de lui voler dans les plumes en la pourchassant à tire-d'ailes. Pendant le temps de son vol punitif les autres tourterelles pouvaient alors manger paisiblement. Sauf qu'il y avait parmi elles – encore un mâle je suppose – un volatile en chaleur qui faisait passer la baise avant la bouffe et qui poursuivait de ses assiduités une des tourterelles en lui picorant délicatement le cou.

Celle-ci davantage attirée par la nourriture se défendait maladroitement en accompagnant ses petits sauts de petits battements d'ailes et alors, comme par un effet de dominos, semait le trouble autour d'elle en déclenchant un concert d'ailes entremêlées. Après ce moment de pagaille, toutes se remettaient à manger tranquillement jusqu'à ce que le mâle belliqueux et possessif revienne semer la zizanie en boutant toute la gente oiselle hors de "sa" mangeoire.

En regardant ce spectacle, je n'ai pu m'empêcher de penser que je voyais là un concentré de l'histoire humaine. Comme j'en ai longuement parlé à travers mes billets sur la Guerre des trônes¹, je voyais là comment une poignée d'accapareurs, par peur de manquer, imposaient par la force leur domination sur leurs congénères et entendaient régner en maître sur ce qu'il considérait comme leur possession.

Ainsi agissent nos dirigeants au sommet de la chaîne sociale ! Insensibles aux besoins du peuple, ils accaparent le bien de tous et se disputent comme des bêtes ou se  chamaillent comme des gosses pour asseoir leur pouvoir, acquérir plus de richesses et assurer leur descendance.

Mais ces hommes qui ne volent pas plus haut que mes tourterelles, humainement parlant, ont soin de revêtir leur bestialité d'un vernis de civilité. Ce sont, comme disait Napoléon à propos de Talleyrand "de la merde dans un bas de soie" . C'est pourquoi ils se sont donnés du "sang bleu" pour acquérir un soupçon de noblesse et un vernis de légitimité qu'ils se transmettent  de fripons en fripons d'une génération à l'autre. Gens de robe ou gens d'église, ils ont habillé leurs faits et gestes de décorums et de cérémoniels pour sacraliser leur pouvoir et donner un semblant de hauteur à leur bassesse. Et société de classe oblige, ils ont bâti des écoles et autres établissements qui leur sont exclusivement réservés. 

Et depuis des siècles et des siècles nous sommes ainsi gouvernés par des loups déguisés en agneaux qui n'ont en vue que le bien-être de leur espèce.Malgré qu'ils aient prouvé au fil de l'histoire leur incapacité à tenir leurs promesses et à gouverner pour le bien de tous, ils peuvent agir à leur guise sans même être tenus à des résultats. 

Voilà ce à quoi je pensais en regardant les tourterelles évoluer sous ma fenêtre. Mais alors un voisin furieux est venu frapper à ma porte pour m'engueuler à cause des petites fientes que les tourterelles ne manquent pas de laisser parfois sur leur passage. Et là je dois bien reconnaître que mon voisin n'avait pas tort : les tourterelles qui se querellent, c'est vraiment chiant !

1. Voir mes billets des 30 mai, 2 juin et 20 juillet 2020